PPH : Bonjour Docteur, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs.trices ?
Je suis Stéphane Talom, médecin hépato-gastro-entérologue et addictologue notamment.
Je suis diplômé de l’université de Dijon en Addictologie clinique.
Après un cursus hospitalo-universitaire à Lyon, puis Meaux entre autres, avec des statuts d’assistant spécialiste puis praticien hospitalier, je me suis orienté vers l’exercice libéral de la médecine, ce qui a conduit à mon installation à l’hôpital privé Claude Galien en région parisienne.
PPH : Pouvez-vous nous dire ce qu’est l’addictologie ?
L’addictologie est la spécialité de la médecine consacrée à l’étude et la prise en charge des addictions.
Les addictions désignent un asservissement à certaines substances ou activités, associé à une dépendance du corps et de l’esprit.
Cette spécialité, récente, regroupe dans un cadre commun des dépendances à des produits (alcool, drogues, tabac, alimentation), et des dépendances « sans produit » (jeux d’argent, de hasard, pratiques sexuelles, jeux vidéos, achat compulsif, cyberaddiction…). Ces addictions ont en commun des comportements (besoin irrépressible, impossibilité à arrêter, sevrage en cas d’arrêt) et des conséquences similaires (désocialisation, isolement, dépression, délinquance…).
PPH : Alcoolisme et addiction à l’alcool, y a-t-il une différence ?
Aucune. L’alcoolo-dépendance (ou alcoolisme) est une addiction à l’alcool qui a des conséquences néfastes sur la santé, la vie sociale et la vie affective. Dans le monde, en 2019, environ 3,3 millions de décès, soit 5,9 % de tous les décès étaient attribuables à la consommation d’alcool.
PPH : Comment survient l’addiction à l’alcool?
Selon l’OMS, l’alcoolodépendance est avérée lorsque la consommation de boissons alcoolisées devient prioritaire par rapport aux autres comportements auparavant prédominants chez une personne. Le désir de boire de l’alcool devient impossible à maîtriser et doit être assouvi au détriment de toute autre considération. L’alcool devient une obsession. Sa consommation doit être poursuivie même lorsqu’elle entraîne des conséquences manifestement problématiques. Tout d’abord, le buveur développe une tolérance. Il doit boire des quantités toujours plus importantes d’alcool pour obtenir les effets recherchés. Puis le buveur passe à un stade où il ne peut plus contrôler sa consommation. Une dépendance physique s’installe. L’arrêt des boissons alcoolisées provoque alors des symptômes de manque (sueurs, tremblements, vertiges, etc.) qui sont difficiles à supporter.
PPH : L’alcoolique ignore très souvent son addiction, quelle explication pouvez-vous donner à cela?
La personne dépendante à l’alcool, peut ignorer son addiction, mais pas toujours. Il s’agit d’une maladie qui coupe parfois de la réalité. Mais les effets néfastes sont objectifs notamment en cas d’accidents liés directement à l’alcool. Dans les sociétés où l’alcool à un usage festif, social, il est parfois difficile de faire entendre aux personnes, les multiples dommages collatéraux liés à la consommation d’alcool.
La compréhension de l’alcoolodépendance doit prendre en compte trois composantes majeures associées entre elles (triade) que sont : le produit (l’alcool), l’environnement et l’individu. Les facteurs sociaux comme les habitudes de consommation en groupe ou en famille sont aussi importants que les propriétés addictives propres à l’alcool.
Dans les sociétés où l’alcool fait partie intégrante de la culture nationale, il y a un retard au diagnostic et l’entrée dans la prise en charge de l’alcoolodépendance. Par ailleurs, chaque individu en fonction de son patrimoine génétique et de son vécu aura plus ou moins de prédispositions à rentrer dans un usage dépendant de l’alcool. Enfin, l’alcool est une substance psychoactive particulière, la dépendance à l’alcool est souvent longue à se mettre en place, mais c’est aussi une des addictions les plus difficiles à contrôler du fait de l’important nombre de paramètres à gérer afin de pouvoir la traiter.
PPH : Quel pourrait être l’impact de l’alcoolisme sur la santé ?
L’impact est énorme !! Le désastre se compte en milliers de vies perdues chaque année. La liste des symptômes et maladie liés à l’alcool est importante. Les effets immédiats de l’alcool sur l’organisme sont bien connus du grand public, particulièrement l’altération du comportement, la diminution accrue de la vigilance, la perte de l’équilibre, etc. jusqu’au coma éthylique.
Je souhaite lister ici, quelques effets à long terme non moins dangereux :
- Altération du système digestif : Cirrhose alcoolique , hépatite, gastrite, pancréatite alcoolique, etc.
- Troubles psychiatriques : Dépression, anxiété sévère et chronique, troubles comportementaux, délires, etc.
- Maladies cardio-vasculaires : HTA, troubles du rythme, AVC, cardiopathie ischémique, angine de poitrine, etc.
- Lésions cérébrales : Syndrome de Korsakoff, polynévrite alcoolique
- Cancer : cancer des voies aéro-digestives supérieures, cancer du foie, cancer colo-rectal, cancer du sein, etc.
Cette liste n’est pas exhaustive, et témoigne de l’impact dévastateur de l’alcool sur la santé.
PPH : Y a –t-il une relation entre le pourcentage d’alcool dans une boisson et la survenue d’une addiction ?
L’OMS a défini une unité de mesure qui s’appelle « le verre standard » et qui correspond à 10 grammes d’alcool pur.
10 grammes d’alcool pur, c’est par exemple :
- 25 cl de bière ou cidre à 6 degrés
- 12,5 cl de vin ou champagne à 11 degrés
- 6 cl d’apéritif à 20 degrés
- 3 cl de whisky à 40 degrés
- 2 cl de pastis ou digestif à 45 degrés
En résumé, il suffit de consommer seulement 2 cl de pastis à 45 degrés pour avoir bu la même quantité d’alcool contenu dans 25 cl de bière à 6 degrés.
La relation entre le pourcentage d’alcool consommée dans une boisson et la survenue de la dépendance est certaine, cependant le seuil auquel survient la nocivité reste individuel, tenant compte des susceptibilité de chaque personne.
PPH : Que conseilleriez-vous à un consommateur d’alcool qui souhaite éviter l’addiction?
Le seuil maximum de 10 verres standard par semaine et pas plus de 2 verres standard par jour est recommandé. Les experts préconisent d’avoir des jours dans la semaine sans consommation d’alcool et, pour chaque occasion de consommation, de :
- réduire la quantité totale d’alcool bue à chaque occasion
- boire lentement, en mangeant et en alternant avec de l’eau
- éviter les lieux et les activités à risque
- s’assurer d’être entouré de personnes de confiance et de pouvoir rentrer chez soi en toute sécurité
Il existe des auto-questionnaires téléchargeables en ligne, AUDIT ( Alcohol Use Disorders Identification Test) et FACE (Fast Alcohol Consumption Evaluation) qui permettent d’évaluer sa consommation d’alcool et son niveau de risque.
Enfin des spécialistes des addictions tels les addictologues, ou alcoologue dans le cas présent, sont outillés pour apporter des réponses et un accompagnement aux patients demandeurs.
PPH : Comment aider une personne qui souffre d’une addiction à l’alcool ?
Prendre conscience qu’un proche a un problème d’alcool n’est pas chose facile, mais savoir quelle aide lui apporter une fois ce constat établi ne l’est pas forcément davantage.
L’entourage d’un alcoolique est souvent plein de bonne volonté, mais aussi mal informé. Il lui arrive de commettre des erreurs qui peuvent contribuer au maintien de la maladie. Voici les attitudes à éviter :
- Lui faire des reproches. L’alcoolique est un malade. Il ne viendrait à personne l’idée de reprocher à quelqu’un de souffrir du diabète ou du cancer.
- Argumenter quand il a bu. Il ne se trouve pas dans son état normal et risque de devenir agressif.
- Lui dire « Si tu m’aimais tu arrêterais de boire ». Son problème n’a rien à voir avec l’amour qu’il vous porte.
- Chercher à contrôler sa consommation. Cela ne l’empêchera pas de boire, mais le poussera au contraire à consommer en cachette.
- Laisser exploser votre colère. Si vous vous montrez hostile à son égard, vous ne pouvez plus l’aider. Se sentant rejeté, il boira de plus belle.
- Résoudre ses problèmes à sa place. Aussi longtemps que c’est le cas et qu’il se sent protégé, l’alcoolique ne songe pas à se soigner.
- Accepter ses mensonges en espérant éviter un conflit. Faites-lui comprendre calmement que vous n’êtes pas dupe.
- Croire à ses promesses. Il voudrait, mais est incapable de les tenir. Dites-lui que pour vous convaincre, il faut des actes, non des paroles.
- Lui donner des conseils. L’alcoolique est un être dépendant qui se croit indépendant. Il ne supporte pas plus les conseils que les critiques.
- Se sacrifier pour l’autre. Vous avez le droit de ne pas tout accepter, de poser des limites, de penser à votre propre bien-être.
PPH : Selon vous, quel pourrait être l’apport des états dans la lutte contre l’alcoolisme ?
Les axes à développer sont nombreux, mais on peut résumer en disant que l’éducation et la prévention sont d’excellents vecteurs de la lutte contre cette addiction. Les pouvoirs publics peuvent actionner des leviers via les messages dans médias audio-visuels, les programmes scolaires, la formation davantage de professionnels paramédicaux et médicaux spécialisés dans le domaine des addictions. Le volet répressif est également important pour corriger les écarts de conduite.
Bonjour Docteur.
Pouvez-vous nous entretenir prochainement sur l’addiction aux réseaux sociaux, ses conséquences et comment s’en éloigner ?