PPH: Pouvez-vous nous dire ce qu’est l’éducation sexuelle ?
Il est important de rappeler que l’éducation sexuelle est souvent limitée à tort à la notion de pratique sexuelle. En réalité, elle suit une approche systémique et englobe toutes les dimensions de la sexualité : biologique mais aussi psychologique, socioculturelle, légale, morale et économique.
Elle ne se contente donc pas d’informer le jeune sur Les étapes de l’évolution de son corps, Sa protection et son respect et les différents aspects de la sexualité mais elle lui transmet aussi des valeurs (respect, sentiment, consentement…) des compétences de vie (dire non, négociation, prise de décision…) et un esprit critique qui lui permettront de prendre des décisions adaptées quant à la vie sexuelle et les relations interpersonnelles.
PPH: Qui aujourd’hui a besoin d’éducation sexuelle dans nos sociétés?
Tout le monde a besoin d’éducation sexuelle :
- les jeunes qui n’ont pas encore de références et chez qui on peut instaurer un travail continu adapté à la tranche d’âge,
- les médias qui détiennent un rôle clé dans la transmission d’information,
- les parents d’élèves qui ont beaucoup d’idées reçues et qui peuvent entraver le travail effectué avec leurs enfants,
- les enseignants et formateurs car souvent en contact avec les jeunes,
- la population générale via des compagnes de sensibilisation afin d’atténuer ses réticences, – les hommes religieux qui sont souvent sollicités comme source d’information.
PPH: A partir de quel âge peut-on aborder le sujet de l’éducation sexuelle avec un enfant?
On peut aborder le sujet d’éducation sexuelle avec un enfant dès qu’il commence à poser des questions sur le sujet. Généralement vers l’âge de 5/6 ans. Si l’enfant pose des questions, C’est qu’il est prêt à recevoir l’information, à condition que celle-ci soit adaptée à son âge. Et il est impératif de donner des réponses ! Par exemple, à un enfant de 5 ans qui pose la question : « comment on fait les bébés ? », on répondra que papa et maman se sont aimés très fort qu’il y a eu une graine du papa et une graine de la maman qui ont donné un bébé qui a grandit dans le ventre de la maman. En général il reviendra à la charge après quelques années pour demander plus de détails et pour demander comment est arrivée la graine dans le ventre de la maman, là on pourra lui expliquer mais toujours de façon adaptée à son âge de façon imagée et ludique. Ceci dit, le concept ne s’arrête pas là, il y a des valeurs et des attitudes à transmettre quelque soit l’âge, tel que le respect de l’intimité du corps, le respect des autres, la lutte contre les stéréotypes du genre…
PPH: L’éducation sexuelle du petit garçon est souvent confiée au père et celle de la petite fille à la mère, est-ce logique selon vous?
Ce modèle est complètement dépassé étant donné qu’il est basé sur une éducation non égalitaire et inefficace : pour le garçon le dialogue est absent, on est plus permissif étant donné qu’il n’a pas de virginité à perdre mais on lui transmet les valeurs de virilité et masculinité et de leurs privilèges ; et pour les filles, le dialogue est présent mais il est dans l’interdit, la prohibition et pas du tout instructif. Donc non ce n’est pas logique, on est toujours dans les stéréotypes du genre ! La vérité est qu’un père peut être plus proche de sa fille et une mère peut être plus proche de son fils. Il me semble que le dialogue doit être ouvert de façon libre entre tous les membres de la famille pour laisser l’enfant en confiance pour qu’il puisse venir vers nous et poser ses questions.
PPH: Aujourd’hui qu’observez-vous dans nos sociétés qui révèle une absence d’éducation sexuelle?
- la sexualité misogyne qui prône la performance ou il y a peu ou pas de place pour les affects
- les comportements sexuels à risque,
- les difficultés dans les relations interpersonnelles,
- La violence basée sur le genre,
- l’image de la femme objet véhiculée par la pornographie,
- l’utilisation néfaste des technologies modernes par les jeunes,
- l’absence d’une éducation basée sur le respect mutuel, la responsabilité et la tolérance,
- Une hausse évidente du harcèlement sexuel et de la violence sexuelle,
- les grossesses non désirées et les maladies sexuellement transmissibles.
PPH: Selon vous, pourquoi l’éducation sexuelle demeure un sujet tabou dans nos sociétés ?
- La sexualité étant un sujet toujours sensible dans nos sociétés, il en résulte une grande réticence générale par rapport à l’abord de l’éducation sexuelle.
- C’est aussi le résultat d’un préjugé et d’une ignorance selon lesquels l’éducation sexuelle est souvent limitée à tort à la notion de pratique sexuelle et on croit que parler de ces choses c’est les encourager, chose qui a été réfutée par de nombreuses études.
- Il y a aussi un frein religieux pour certains même si le plus grand frein reste social.
PPH: Une fois adulte comment peut-on combler un manque d’éducation sexuelle ?
Oui bien sur ! c’est toujours plus difficile de changer les convictions déjà construites d’une personne mais on peut en balayant les idées reçues et en corrigeant certaines informations arriver à bout de certains troubles sexuels ou problèmes relationnels au sein du couple. La vision globale par rapport à la sexualité s’assouplira mais certaines attitudes plus ancrées restent difficiles à combattre tel que l’inégalité entre les sexes, les stéréotypes liés au genre… Ce que j’ai remarqué dans ma pratique en faisant des formations récurrentes pour les enseignants, c’est l’incroyable gain en tolérance et en souplesse dans la réflexion au bout de 3 ou 4 formations. Donc pour moi ça vaut toujours le coup.
PPH: Plusieurs parents aujourd’hui éprouvent des difficultés à débuter l’éducation sexuelle de leur enfant, quels conseils ou astuces pouvez-vous leur donner ?
Le rôle des parents est important et ce même si l’enfant a accès à l’éducation sexuelle au sein du milieu scolaire. C’est le premier vis-à-vis de l’enfant et c’est de son attitude et réactions face aux questionnements de son enfant que dépendra la sexualité de ce dernier.
Les parents ne doivent pas réagir de façon excessive (on en parle pas de ces choses-là, ça ne se fait pas, c’est impoli, c’est prohibé par la religion…) sinon l’enfant ne se confiera plus à eux pour satisfaire sa curiosité. Si on est mal à l’aise, l’enfant le ressentira et le sera donc lui-même
On doit absolument répondre aux questions de l’enfant, d’abord pour dissiper ses angoisses par rapport à la question de la sexualité mais aussi parce qu’il s’arrangera à avoir l’information ailleurs par des sources non fiables qui peuvent lui nuire (internet, les pairs…).
Si les parents n’ont pas l’information demandée, ils peuvent demander un petit délai pour se documenter et bien sur l’information doit être toujours adaptée à l’âge de l’enfant pour ne pas le choquer. Mais en général quand l’enfant exprime sa curiosité par une question c’est qu’il est prêt. La meilleure façon c’est d’être ouvert au dialogue, de le laisser venir vers nous, ne pas mal réagir et répondre.
Il y a cependant des sujets qui n’attendent pas jusqu’à ce que la curiosité de l’enfant se manifeste comme le respect du corps, le fait que ce soit une propriété privée et que certaines personnes seulement peuvent le toucher de ses zones sensibles (à l’âge de 4-5 ans), le sujet des menstruations chez les filles de préférence avant leur survenue (vers 8-9ans), l’effet néfaste de la pornographie à la préadolescence, les comportements à risque vers 14-15ans…
PPH: Vous êtes aujourd’hui une experte reconnue de par vos interventions en faveur de l’éducation sexuelle, qu’est-ce qui motive votre engagement ?
J’ai pris conscience de l’importance de l’éducation sexuelle d’abord au cours de mon enseignement de la sexologie puis au cours de ma pratique. Me rendant compte à quel point son manque peut être à l’origine de troubles sexuels, de problèmes relationnels, de méconnaissance du corps, pouvant être à l’origine d’une souffrance palpable. Je travaille aussi beaucoup avec la société civile et je vois les dégâts sociétaux (harcèlement, violence basée sur le genre, viols, grossesses non désirées, maladies sexuellement transmissible, intolérance et stigmatisation envers les minorités…) qui pourraient être évités avec une bonne éducation sexuelle.
PPH: Qui aujourd’hui sollicite vos services en tant qu’experte ?
Je suis psychiatre sexologue de libre pratique, également vice présidente de la société tunisienne de sexologie clinique et je travaille de façon ponctuelle avec la société civile. J’ai travaillé avec plusieurs organismes tels que le fond des nations unies pour la population, l’institut arabe des droits de l’homme, l’association tunisienne de santé reproductive, des associations qui luttent pour les droits des minorités.
Avec eux on a procédé à des formations en éducation sexuelle pour les enseignants, les journalistes, les hommes religieux, les parents d’élèves… Il m’est arrivé aussi d’intervenir dans des lycées ou facultés dans le cadre de compagne de sensibilisation.
cc merci de l’1fo!!!!