PPH: Bonjour Docteur, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs.trices ?
Je suis Dr Cédric SIDI TCAHMENI, médecin psychiatre résidant au Cameroun. Après des études de médecine générale au Mali, je me suis spécialisé au Sénégal et j’ai décidé de revenir dans mon pays d’origine et ainsi d’apporter ma contribution à la santé mentale au Cameroun et en Afrique.
PPH: Docteur lorsqu’on parle de santé mentale, de quoi s’agit-il ?
Selon l’Organisation mondiale de la santé, la santé mentale est état complet de bien être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de la communauté.
Il ressort de cette définition qu’on ne s’attarde plus seulement sur les maladies mentales ou les souffrances psychologiques, mais on prend aussi en compte le pole positif, l’aspect préventif.
PPH: Quels sont les troubles mentaux que vous rencontrez fréquemment à votre consultation et pouvez-vous nous en parler brièvement ?
En consultation, nous faisons le plus souvent face à des troubles psychotiques et les addictions.
Les troubles psychotiques sont une catégorie de troubles dans lesquels on retrouve des patients qui en général ne sont pas conscients de leur maladie, et ont des croyances et une perception de la réalité en décalage avec la réalité admise par la communauté dans laquelle ils vivent.
Les addictions regroupent tous les troubles liés à une consommation inappropriée de substances psychoactives, ou alors liés à un comportement tel que cela devient la préoccupation centrale de l’individu concerné.
PPH: Avez-vous identifié des profils de malades mentaux ou des facteurs de survenue de la maladie mentale lors de vos consultations ?
Tout le monde peut être sujet à un problème de santé mentale à un moment ou un autre de son existence. Néanmoins, nous remarquons que les sujets souffrant d’addiction aux substances (toxicomanie comme on disait avant) sont en grande majorité des jeunes de sexe masculin entre 14 et 17 ans, avec une dynamique familiale perturbée. Souvent ils sont en proie à un sentiment de solitude ou alors vivent avec une absence du père.
Ailleurs, à moins de rentrer dans les détails par pathologie, les profils sont assez variés.
PPH: Que pouvez-vous conseiller à des proches de malades mentaux qui n’ont pas accès à un psychiatre pour leur parent…Situation assez fréquente dans notre contexte?
L’absence de psychiatre est malheureusement une situation assez fréquente dans notre contexte mais des actions peuvent être menées malgré tout.
Si vous avez un proche qui est sujet à une souffrance psychique secondaire à une situation sociale (deuil, séparation, échec, stress particulier, etc…) on peut déjà avoir une écouté active et attentive. Etre à l’affut de signes inquiétants, d’un changement de comportement quel qu’il soit et pousser les gens à parler de leurs soucis
Si vous avez un proche qui est en proie à une maladie mentale avérée, il faut déjà se renseigner exactement sur la pathologie pour mieux la comprendre, veiller à ce qu’il ait une bonne qualité de sommeil et peu de stress, et veiller à sa protection physique. Dans certains cas, éviter de contredire votre proche et éviter de juger le patient pour les paroles ou les actes qu’il a pendant sa maladie.
Pour beaucoup de troubles psychiatriques, il faudra un traitement médicamenteux et donc il faut activement rechercher un professionnel de santé mentale pour une aide appropriée.
PPH: Dans notre contexte africain que vous connaissez bien, qui aujourd’hui est habilité à prendre en charge les troubles mentaux ?
Comme dans tous les pays du monde, ceux qui sont habilités à prendre en charge les troubles mentaux sont les médecins psychiatres et les psychologues.
Dans certains pays comme au Cameroun, certains infirmiers ont eu une « spécialisation » de deux ans en psychiatrie et peuvent prendre en charge des troubles mentaux courants
Enfin, il faut noter que la grande majorité de ceux qui souffrent de troubles mentaux se tournent plutôt vers les tradipraticiens et « guérisseurs » qui ont pour eux « l’habilitation sociale ».
PPH: Vous qui êtes un psychiatre exerçant depuis plusieurs années ; pourquoi selon vous la santé mentale reste un sujet tabou ?
La santé mentale est un sujet tabou parce qu’en réalité ça touche à ce qui fait de l’homme une créature unique dans l’univers : Son psychisme. On a depuis plusieurs années dans beaucoup de cultures lié les troubles mentaux à des processus surnaturels. Comme vous le savez, en général on ne va pas consulter le guérisseur au vu et au su de tous, surtout que souvent celui qui a le pouvoir de guérir a aussi dit on le pouvoir de rendre malade. Cela peut expliquer pourquoi la santé mentale est entourée de tabou et effectivement, les patients vont souvent voir les psys comme ils iraient voir les guérisseurs.
PPH: Docteur nous aimerons avoir vos conseils pour préserver notre santé mentale
On peut préserver notre santé mentale à travers plusieurs actions :
- Avoir une bonne qualité de sommeil, trouver le temps de faire du sport
- Prendre du temps pour soi, pour réfléchir sur son bienêtre, pour prendre soin de soi.
- Exprimer son mal être, trouver quelqu’un qui peut nous écouter.
- Si on ressent un mal être, ne pas avoir de réticence à rencontrer un « psy ».
PPH: Peu de psychiatres exercent en Afrique, dites-nous Docteur, qu’est-ce qui vous a poussé à faire le choix de cette spécialité…
Je me suis rendu justement compte du déficit criard en psychiatres au Cameroun et en Afrique. J’ai donc décidé d’aller me spécialiser en psychiatrie et je me suis rendu compte que c’est une spécialité au cœur de la pratique médicale. C’est un constat que j’avais fait en tant que médecin généraliste, et ce constat est toujours d’actualité.
J’encourage les médecins généralistes à s’orienter vers cette spécialité. En réalité c’est la nouvelle frontière en médecine.
PPH: Quels pourraient être les axes d’amélioration des systèmes de santé africains concernant la prise en charge des troubles mentaux ?
On pourrait :
- Décider de subventionner beaucoup plus la formation des spécialistes en psychiatrie et les maintenir en Afrique.
- Organiser des campagnes de subvention à grande échelle sur les troubles mentaux.
- Miser sur l’éducation parentale pour l’adoption des comportements qui favorisent le bien-être des enfants.
Beaucoup d’autres actions pourraient être menées.