PPH : Merci d’avoir accepté cet entretien. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs.trices ?
Je suis Dr Épiphanie Nangui, Médecin à la Direction de la Santé et de l’Hygiène Publique du District Autonome d’Abidjan et aussi consultante indépendante en Santé.
PPH : De quoi s’agit-il lorsqu’on parle de norme qualité en pratique médicale?
La qualité des soins est définie par l’OMS comme la délivrance à chaque patient de l’assortiment d’actes diagnostiques et thérapeutiques qui lui assurera le meilleur résultat en terme de santé, au meilleur coût pour un même résultat, au moindre risque iatrogène et pour sa plus grande satisfaction en terme de procédures, de résultats et de contacts humains.
En d’autres mots c’est le fait pour un malade de recevoir des soins adéquats, adaptés à sa pathologie en termes de soins préventifs et curatifs.
PPH : Quelle formation faut-il faire pour être un expert de la norme qualité en pratique médicale ?
Plusieurs écoles ou universités développent des diplômes à bac + 5 de responsable qualité hospitalière, accessibles à des étudiants issus de différents cursus.
Il existe également des filières courtes à bac +3 qui conduisent au métier d’assistant qualité avec la possibilité, après expérience, de pouvoir accéder à une fonction de responsabilité.
PPH : Quelles sont selon vous les barrières à l’implémentation de la norme qualité dans nos hôpitaux ?
Je n’utiliserai pas le mot barrière mais plutôt le mot défi. Les défis à relever pour la mise en place de la démarche qualité dans nos hôpitaux sont nombreux. Nous pouvons en citer deux principaux:
Les défis financiers : La qualité a un coût. La formation du personnel, l’acquisition d’un plateau technique de référence, la procédure d’accréditation, et les travaux de rénovation. Même si à long terme le retour sur investissement est non négligeable, la démarche qualité est avant tout une opération coûteuse et la plupart du temps, les hôpitaux ne bénéficient d’aucune subvention d’accompagnement pour l’accréditation.
Les défis organisationnels et structurels : la procédure d’accréditation est souvent perçue comme une réglementation, une charge de travail supplémentaire pour les employés et la direction. En effet elle vient très souvent chambouler tout le processus organisationnel de l’hôpital, autant au niveau de la direction qu’au niveau du personnel.
PPH : Démarche qualité et couverture santé universelle sont-elles indissociables ?
Le but de la couverture santé universelle est de faire en sorte que tous les individus aient accès aux services de santé sans encourir de difficultés financières. Elle vise l’accès universel aux soins. Mais on ne peut pas parler d’accès universel aux soins sans prendre en compte la qualité des soins fournis. Couverture santé universelle sous-entend alors qualité des services fournis. Ça ne servirait à rien d’étendre l’accès aux soins en absence de réelle qualité de ces soins. La démarche qualité est donc un élément fondamental de la couverture santé universelle.
PPH : Quels sont selon vous les leviers de motivation du personnel médical quant à l’implémentation de la norme qualité ?
Avoir un personnel de santé compétent, motivé, bénéficiant d’un soutient adéquat est hautement primordial pour l’implémentation de la qualité en santé.
Il existe de nombreux leviers de motivation du personnel médical. On peut citer :
- La qualité de vie au travail : il s’agit du plateau technique et de l’environnement au travail. Les prestataires de soins veulent dispenser les meilleurs soins à leur patient. Alors ils doivent avoir tous les moyens techniques nécessaires pour travailler convenablement. En plus du plateau technique il faudra rajouter toutes les compétences socio-organisationnelles indispensables à toute structure pour favoriser la transparence et l’amélioration du cadre de travail. Le but étant que chaque employé puisse travailler dans des conditions optimales.
- Le second est l’incitation financière : le salaire, les indemnités et les avantages sociaux
- La gestion de carrières : c’est la mise en place d’un réel plan de formation et de mobilité interne ainsi que des opportunités de carrière.
- La reconnaissance du travail : il permettra d’établir un véritable lien de confiance basé sur la compétence du personnel et leur implication dans le processus qualité.
PPH : La démarche qualité pourrait–elle avoir un impact sur la mortalité au sein de nos hôpitaux ?
Evidemment ! Plusieurs causes expliquent le taux de mortalité élevé dans nos hôpitaux. Instaurer une démarche qualité permettra d’agir directement et/ou indirectement sur de nombreuses causes de décès. Par exemple, la prise en charge des malades se feraient dans des conditions optimales, réduisant ainsi l’apparition de complications et des décès. Puisque la qualité des soins renforce la confiance des populations en leur système de santé, le taux de fréquentation des hôpitaux s’élèvera et ainsi le dépistage précoce et la prise en charge de certaines pathologies deviendra possible dans nos hôpitaux.
PPH : Quels sont les indicateurs de la démarche qualité dans une structure sanitaire ?
Il existe quatre types d’indicateurs :
- Les indicateurs de structure : ils permettent d’analyser les ressources humaines matérielles et financières et l’organisation de la structure. Ils mesurent la qualité de la gestion des ressources humaines, matérielles, financières nécessaires à la mise en œuvre des processus de soins ; par exemple le nombre de médecins pour 100 000 habitants, le nombre d’établissement sanitaire de premier contact etc…
- Les indicateurs de processus : ils mesurent la qualité de la mise en œuvre d’une activité de soins du processus de prise en charge d’un patient ; Ils analysent la sécurité dans la réalisation du processus, l’accessibilité, la continuité, le respect des délais. Par exemple le délai d’attente d’un patient, le délai pour obtenir un résultat d’un examen etc…
- Les indicateurs d’activités. Par exemple le nombre annuel d’interventions chirurgicales, le nombre d’accouchement par césarienne, le nombre de consultation prénatale etc…
- Les indicateurs de résultats : ils mesurent directement les bénéfices ou les risques générés pour le patient en termes d’efficacité, de satisfaction et de sécurité. Ils ont attraits à la mortalité, la morbidité, l’inconfort, l’insatisfaction, l’incapacité.
PPH : Fuite des cerveaux et démarche qualité dans nos hôpitaux : votre commentaire ?
La fuite des cerveaux est un énorme manque à gagner pour l’Afrique. C’est un phénomène qui frappe tous les secteurs et la santé n’est pas épargnée. Les médecins quittent leur poste pour se diriger vers des hôpitaux où le plateau technique est efficient et la rémunération financière optimale.
Pour l’implémentation de la qualité dans nos hôpitaux, il faut du personnel compétent. C’est avec tristesse que nous constatons la fuite des cerveaux vers l’occident, cela met en difficulté toute démarche qualité. C’est pour cela que nous avons parlé plus haut des modifications structurelles. C’est au pouvoir publique d’instaurer toute une politique de séduction pour retenir les compétences présentes et attirer celles qui sont à l’extérieur. Sans cela, nous continuerons d’assister impuissamment à l’exode des cerveaux africains.
PPH : Qui est aujourd’hui garant de la démarche qualité au sein d’une structure sanitaire ?
Le garant n’est autre que le premier responsable de la structure. Qu’elle soit privée ou publique. La mise en place de la qualité incombe à tout le personnel mais c’est le directeur de l’établissement hospitalier qui en est le garant. Il fixe les objectifs à atteindre et les moyens mis à disposition. C’est au directeur d’impulser dans son établissement une dynamique de changement durable où le leitmotiv est l’amélioration continue de la qualité.
Pensez-vous que la norme ISO 9001 version 2015 peut-être implémentée dans nos structures sanitaires? Si oui, quels en sont les défis?
La qualité est donc une notion relative basée sur le besoin.
On doit en général rechercher davantage une qualité optimum répondant aux besoins du segment de consommateurs ciblé plutôt qu’une qualité maximum pouvant entraîner une hausse des coûts de prise en charge et éventuellement un effet d’éviction tarifaire d’une partie de la clientèle(patients) initiale.