La population féminine en Afrique reste extrêmement vulnérable face aux cancers. Qu’est—il important de changer ou alors où se situent les efforts à faire pour améliorer cet état de chose ? Ce mois de mars dédié à la femme est l’occasion pour Prime Public Health de revenir sur la question, à travers notre habituel interview d’expert.
PPH : Merci Docteur de nous avoir accordé cet interview ; pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs.trices ?
Bonjour à tous.
Je suis Dr Anoh Dolores N’diaye, je suis la chargée de communication santé au Programme National de Lutte contre le Cancer (PNLCa) depuis octobre 2020. Le PNLCa est l’institution technique du ministère de la santé, de l’hygiène publique en charge de la lutte contre le cancer en Côte d’Ivoire.
PPH : La mortalité par cancer tend à croître en Afrique ces dernières années. Parmi les cancers qui touchent la femme quels sont par ordre de fréquence décroissant les plus meurtriers en Afrique ?
En termes de mortalité en Afrique, les estimations du Centre International de Recherche sur le Cancer, par ordre décroissant indiquent :
- Le cancer du sein avec 85 787 décès
- Le cancer du col de l’utérus avec 76 745 décès
- Le cancer du foie avec 24 204 décès
- Le cancer colo-rectal avec 20829 décès.
En CI selon les données rapportées par le Registre des cancers d’Abidjan nous avons en termes de mortalité, le cancer du sein avec 1 785 décès suivi du cancer du col de l’Utérus avec 1 417 décès.
PPH : Vous êtes une experte engagée dans la lutte contre les cancers en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire…D’après vous, communique-t-on- suffisamment autour de ces cancers ?
L’insuffisance de la communication sur le cancer est une réalité. Toutefois, comparé aux années antérieures l’on note une évolution non négligeable dans la communication sur les cancers. Comme exemple nous pouvons citer le mois d’octobre rose , mois dédié au cancer du sein, qui voit depuis deux ans la participation de plus en plus importante des masses issues des organisations, des entreprises et de la population qui prend conscience de l’importance de faire son dépistage et d’adopter des comportements sains.
PPH : Quelles actions menez-vous au quotidien dans la lutte contre les cancers ?
En ma qualité de membre de l’équipe en charge de la communication sur cette pathologie, je participe à la coordination des activités de sensibilisations et de dépistage menées par des ONG et associations de lutte contre le cancer. La prévention étant l’une des missions clé du PNLCa.
Je participe à l’organisation des grandes journées de sensibilisation comme la journée mondiale de lutte contre le cancer, la journée internationale de lutte contre le cancer de l’enfant, la journée de sensibilisation sur le virus HPV qui est le principal responsable du cancer du col de l’utérus, le mois de mobilisation contre le cancer colorectal, le mois d’octobre rose pour le cancer du sein et novembre bleu pour la sensibilisation contre le cancer de la prostate.
Associé à cela je travaille sur l’élaboration des supports de communication et de films documentaires pour la sensibilisation sur les cancers.
PPH : Quels pourraient être les leviers d’amélioration du dépistage des cancers (sein et col de l’utérus) chez la femme africaine ?
De précédentes études conduites par le PNLCa et ses partenaires ont rapporté que les principaux leviers du recours au dépistage étaient le niveau d’éducation élevé (niveau secondaire et plus comparé au niveau primaire ou pas de niveau d’éducation formel), l’âge au-delà de 35 ans, la réception d’une information clair et compréhensible sur le cancer du col et la participation à une campagne de dépistage (Boni et al, BMC Cancer 2021). Ces raisons pourraient être similaires pour le recours au dépistage du cancer du sein.En fait, pour améliorer le taux de dépistage, la prise de conscience de toutes les couches sociales féminines adultes et l’amélioration de l’accessibilité financière et géographique ponctuées d’une vulgarisation de bonnes informations sur ces cancers s’avèrent indispensables.
PPH : Face au cancer, de nombreuses femmes en Afrique adoptent des traitements à base de plantes médicinales. Que pensez-vous des thérapies locales pour traiter les cancers ?
Les thérapies locales ou la médecine traditionnelle n’est pas à bannir du recours aux soins en Afrique. C’est de bonne guerre que l’OMS a recommandé l’encadrement voire l’intégration de cette médecine dans le système de santé quand cela est possible. Aujourd’hui en Côte d’Ivoire comme en Madagascar et ailleurs, cette intégration est un fait. Parlant de cancer, ce sont près du tiers des patientes atteintes de cancer du col de l’utérus qui ont recours à un praticien de médecine traditionnelle (PMT) avant la consultation chez un professionnel de santé. Ainsi, nous impliquons les PMT dans la stratégie de prise de conscience collective de la maladie cancéreuse et la détection précoce des cancers. Ils devraient très rapidement reconnaitre les symptômes et référer les patientes dans le système conventionnel pour diagnostic et prise en charge. L’ignorance et la pauvreté étant les principales raisons motivant ce recours aux thérapies locales en cas de cancer.
PPH : Le cancer du col de l’utérus peut de nos jours être aisément prévenu…Quelle pourrait être la stratégie à adopter en Afrique pour optimiser sa prévention chez la jeune fille ?
La stratégie est celle de l’OMS qui a lancé depuis Novembre 2020 l’initiative mondiale pour l’élimination du cancer du col de l’utérus d’ici 2030. Les objectifs sont de vacciner contre le HPV 90% des filles avant leur âge de 15 ans, de dépister 70% des femmes de 35 ans puis 45 ans à l’aide d’un test performant et de traiter 90% des femmes atteintes d’une maladie du col (pré-cancer ou cancer). A l’instar des pays d’Afrique, la Cote d’Ivoire a endossé cette stratégie, assortie d’interventions, et l’a clairement inscrit dans son présent plan stratégique.
PPH : Quel rôle pourrait jouer le système éducatif dans la lutte contre les cancers ?
De nombreuses données ont attesté qu’il existe une jonction étroite entre le système éducatif et la santé.
En effet, L’éducation à la santé est l’une des clés importantes de la prévention qui pourrait être joué concomitamment par les systèmes éducatifs et sanitaires.
Aussi, la participation importante des professionnels du système éducatif dans les projets de prévention en général et dans la demande de vaccination anti-HPV est un atout clé pour la réussite de ces projets. En effet, l’approche scolaire est l’approche retenue par la Cote d’Ivoire dans sa campagne de vaccination contre le HPV. Les autorités du ministère en charge de l’éducation peuvent impulser un dynamisme qui pousserait éducateurs et enseignants à s’impliquer davantage dans la sensibilisation des élèves en âge de vacciner à utiliser le service. La sensibilisation puis l’engagement des parents d’élèves aiderait à améliorer les taux de vaccination qui restent pour la plupart inférieurs aux objectifs d’élimination du cancer du col de l’utérus.
Ceci requiert une bonne collaboration entre le système éducatif et le système sanitaire.
PPH : Parlons à présent de la prévention des cancers du sein. Toutes couches sociales confondues, quel message pourriez-vous adresser à la femme africaine ?
Comme le dit mon Directeur Coordonnateur, le Prof Adoubi Innocent, le meilleur traitement du cancer est le dépistage. Le diagnostic lorsqu’il est fait tôt augmente la probabilité de survie de la femme.
Le dépistage du cancer du sein peut se résumer en 3 recommandations :
- L’autopalpation chaque mois, 8 à 10 jours après le début de la menstruation
- L’examen clinique des seins par un professionnel de santé une fois par an
- La mammographie chaque 2ans à partir de 45 ans ou dès 40 ans chez les femmes ayant un antécédent familial de cancer du sein.
Ces différentes recommandations lorsqu’elles sont suivies correctement concourent à une meilleure connaissance de son corps et à une alerte systématique en cas de dysfonctionnement. Il en résulte une détection plus précoce des cancers du sein, or 7 sur 10 des cancers du sein peuvent se traiter efficacement et améliorer la survie des femmes atteintes.
PPH : A votre avis, quelles sont les perspectives concernant la lutte contre les cancers en Afrique ?
Je parlerais plus particulièrement de la Côte d’Ivoire. Au niveau de la Côte d’Ivoire, le ministère de la santé à travers le PNLCa, sa structure technique a travaillé sur un plan stratégique national dont les 3 axes prioritaires sont : le renforcement de la gouvernance et du financement pour la lutte contre le cancer ; le renforcement de l’offre et de l’accessibilité des populations aux services de qualité pour la lutte contre le cancer et le renforcement de la promotion de la santé pour la lutte contre le cancer. Globalement, le développement ou le renforcement d’infrastructures anti-cancéreuses et le renforcement des capacités de ressources humaines fortement impliquées dans la prise en charge des cancers sont des chantiers importants pour l’Afrique.